Pr. Samia Zekri à « L’invité du jour » : le diabète en Algérie, une urgence nationale

Pr. Samia Zekri à « L’invité du jour » : le diabète en Algérie, une urgence nationale

12/11/2025 - 10:02

Le Professeur Samia Zekri, professeure en médecine interne, experte en diabétologie auprès du ministère de la Santé et formatrice en éducation thérapeutique du patient, a dressé, ce mercredi sur la radio chaîne 3 de la radio algérienne, un état des lieux préoccupant de la situation en Algérie, tout en rappelant les enjeux mondiaux liés à cette pathologie chronique à l’occasion de la Journée internationale du diabète célébrée le 14 novembre de chaque année.

« Effectivement, il y a une ascension, il y a une explosion mondiale du nombre de patients vivant avec un diabète et l’Algérie n’est pas épargnée », prévient-elle d’emblée lors d son passage à l’émission « L’invité du jour », précisant que dans le monde, 537 millions de personnes vivent actuellement avec le diabète, et les projections annoncent 783 millions de malades d’ici 2045. Pour l’Algérie, indique Pr. Zekri, les chiffres sont alarmants, révélant qu’« une étude menée entre 2016 et 2017 indiquait une prévalence de 14,4 % chez les personnes âgées de 18 à 69 ans. Mais la Fédération Internationale du Diabète a révélé en 2018 une progression inquiétante, portant cette prévalence à 17,5 %, soit environ 4,7 millions d’Algériens touchés ».

Une explosion des cas de diabète de type 2

Le diabète le plus fréquent dans le pays est le diabète de type 2, « intimement associé à l’obésité », précise le Professeur Zekri. L’obésité androïde, celle qui se concentre au niveau abdominal, est particulièrement dangereuse. « Lorsque vous voyez que votre ventre pointe, c’est que déjà la graisse a entouré vos viscères, y compris le foie, et à ce moment-là, il y a un état d’insulino-résistance. » Le corps produit de l’insuline, mais celle-ci devient inefficace, provoquant à terme un diabète de type 2.

Ce constat est d’autant plus préoccupant que le surpoids touche désormais toutes les tranches d’âge. « Si on ne veut pas faire augmenter encore le chiffre de ces patients, il faut absolument lutter contre le surpoids et l’obésité », alerte la professeure. Ces deux fléaux sont devenus « des épidémies mondiales ». En Algérie, une société de lutte contre l’obésité a d’ailleurs été créée afin de dépister le surpoids et de prévenir le passage au prédiabète.

Le thème de la campagne du 14 novembre, « le diabète touche tous les âges », illustre parfaitement cette réalité. « Depuis la procréation, l’enfance, l’adulte actif et le troisième âge, tout le monde peut être concerné », insiste la professeure.

L’inquiétante progression de l’obésité infantile

L’un des aspects les plus alarmants réside dans la hausse de l’obésité chez les enfants. Une étude de l’Institut National de Santé Publique publiée en janvier 2025 révèle que 13,4 % des enfants algériens âgés de 5 à 11 ans sont déjà obèses. « Quand ils sont obèses à ce moment-là, si les parents ne font pas ce qu’il faut pour leur faire régresser de poids, ça risque de se pérenniser à l’âge adulte et ils risquent de devenir diabétiques », explique-t-elle.

Face à cette situation, la professeure appelle à un retour au bon sens alimentaire. « Il faut s’éloigner de l’alimentation moderne, c’est-à-dire les produits transformés, industriels, et adopter le régime anti-inflammatoire », autrement dit le régime méditerranéen. Ce mode d’alimentation privilégie les légumes, les fruits, les produits du terroir et la cuisine faite maison. Elle déplore l’influence croissante de la restauration rapide : « Le hamburger, nous l’avons tous adopté, il nous a fait énormément de mal, en particulier à nos enfants. »

L’industrie agroalimentaire face à ses responsabilités

Mais la responsabilité ne repose pas uniquement sur les familles. Les pouvoirs publics et les industriels jouent également un rôle crucial dans la lutte contre le diabète. « Le ministère de la Santé a organisé les choses. Il a mis en place un comité multisectoriel, dont les membres ont été nommés par décret présidentiel, pour réduire la quantité de sucre dans les aliments », rappelle le Professeur Zekri.

Historiquement, au lendemain de l’indépendance, l’Algérie avait augmenté les taux de sucre dans les produits pour lutter contre la malnutrition, atteignant 160 grammes par kilo ou par litre. « Les textes ont permis de réduire cette quantité à 110 grammes, mais sur le terrain, les boissons paraissent toujours aussi sucrées. »

Les industriels, craignant une baisse de ventes, ont souvent compensé cette réduction en ajoutant des édulcorants. « Or, les édulcorants, au jour d’aujourd’hui, on sait qu’ils sont cancérigènes », avertit la professeure. Pire encore, ils entretiennent une dépendance au goût sucré. « Nous cherchons à ce que la personne diminue petit à petit sa consommation de sucre jusqu’à s’en éloigner, mais pas totalement : il faut choisir les sucres lents et s’éloigner le plus possible des sucres rapides. »

Elle rappelle également que le sucre n’est pas le seul ennemi. « En fait, on ne fait pas la chasse qu’au sucre, il y a aussi les trois blancs, à savoir le sucre, le sel et la graisse. » Cette triade, lorsqu’elle est consommée en excès, favorise le surpoids et donc les complications métaboliques.

Prévenir pour éviter les complications

Les conséquences du diabète sont dramatiques. « C’est la première cause de cécité dans le monde, la première cause des amputations non traumatiques et la première cause de la dialyse », énumère le Professeur Zekri. Ces complications, souvent évitables, soulignent l’importance du dépistage précoce et de la prévention.

Pour conclure, le message du Professeur Zekri est clair : la lutte contre le diabète en Algérie doit être globale et collective. Elle implique les médecins, les autorités, les industriels, les éducateurs, mais aussi chaque citoyen. « Nous devons nous unir, vous et nous, le monde médical, les psychologues, les paramédicaux, tout le monde doit s’unir. »

Cette union, symbolisée par « l’insigne de l’unité contre le diabète » que la professeure arbore fièrement, rappelle que cette maladie n’est pas une fatalité. Avec une prise de conscience nationale et des gestes simples (alimentation équilibrée, activité physique régulière, réduction du sucre), l’Algérie peut inverser la courbe inquiétante du diabète et redonner à sa population les clés d’une meilleure santé.

Farid Belgacem - Radio Algérie Multimédia