«Les Marocains ont tendance à acheter les gens». Cette déclaration résume bien l'enquête que la chaîne belge RTBF a diffusé, mercredi soir, et qui met à nu la politique de corruption adoptée par le Makhzen auprès des élus locaux ou dans les institutions internationales.
Intitulée «Les influents relais du Maroc en Belgique», l'enquête de la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF) trace les pratiques du Makhzen et le parcours de certains de ses relais dans le pays.
L’enquête, très documentée et poussée, s’est focalisée sur l’analyse des prises de position et de déclarations de plusieurs mandataires politiques belges sur le dossier du Sahara occidental, dont la députée régionale bruxelloise, Latifa Aït-Baala, et le député fédéral Hugues Bayet.
D’après le média belge, Latifa Aït-Baala (députée depuis 2019) qui a produit et réalisé plusieurs films sur l’histoire du Sahara occidental et sur le Front Polisario, était financée par les autorités marocaines pour distiller sa propagande.
«Dans un document disponible sur le site du CCME (Conseil de la communauté marocaine à l’étranger), on apprend que son association appelée Freemedia a reçu 165.000 dirhams, l’équivalent de 15.000 euros, en 2010-2011. Une aide financière qui, selon nos informations, proviendrait du ministère des Marocains résidents à l’étranger», note le média dans un article d’annonce de la diffusion de l’enquête.
Les documentaires réalisés par la députée régionale belge ont été diffusés dans des lieux de pouvoir, comme le Parlement européen et le Parlement fédéral, rappelle la RTBF.
Soumis à une spécialiste de l’analyse du contenu médiatique, Marjorie Beulay, maîtresse de conférences en droit international à l’Université de Picardie Jules-Vernes (Amiens, France), le contenu tendancieux des films a été jugé sans appel comme une «opération de propagande qui tente de traiter l’annexion du Sahara occidental par le Maroc ou relie le Front Polisario à des mouvements terroristes».
«Juridiquement parlant, certaines informations présentées sont fausses et manipulées. On distord le droit. On ment. Dans ces films, les voix dissidentes sont toutes présentées comme de la propagande. Cela donne l’impression que ce qui est dit est la seule réalité acceptable. Ce qui fait de ces documentaires de la propagande», juge la spécialiste.
Les agissements suspects de l'ambassadeur du Maroc dévoilés au grand jour
L’autre profil analysé est celui du socialiste Hugues Bayet, député fédéral, maire de Farciennes, dans la Hainaut (Belgique) et eurodéputé entre 2014 et 2019. Il a été inculpé sans jamais être inquiété dans le scandale de corruption au Parlement européen pour avoir, selon le média belge, collaboré avec Pier Antonio Panzeri, le principal protagoniste dans des dossiers liés au Maroc.
Hugues Bayet a lancé en mai 2022 ce qu'il appelle le «Comité belge pour le soutien au (funeste) plan marocain d’+autonomie+ du Sahara (COBESA)», la RTBF notant que le mot «occidental» a été occulté.
Un comité dont la cérémonie de création a été prise en charge par l’ambassade du Maroc en Belgique. «La demande de disponibilité de la salle a été introduite (...) par le chef de bureau de la MAP, l’Agence marocaine de presse. C’est l’ambassade du Maroc qui a confirmé la location de la salle (...) L’ambassadeur est passé brièvement voir la salle quelques jours avant. Il a payé la facture d’un montant total de 620 euros», révèle l’enquête.
Cette dernière s’est ensuite penchée sur les déclarations d’Hugues Bayet dans les médias marocains, en insistant sur celles faites en 2020 où il vante la politique du Makhzen au Sahara occidental en reprenant «à son compte des passages entiers d’articles issus de médias marocains. Des articles écrits avant cette déclaration. Il récite aussi plusieurs parties du discours du roi Mohamed VI, prononcé en 2014», lors de la célébration de l'invasion du Sahara occidental.
Plus grave, le 20 octobre 2022, l’élu prend position en faveur du funeste «plan d’autonomie» marocain, au nom de son parti à la Chambre des représentants, en demandant «au gouvernement (belge) de se positionner» sur cette option.
Pour l’ancien sénateur belge Pierre Galand, «le Parti socialiste n’a jamais pris cette position en tant que parti. Bayet a dit que c’était la position des Socialistes. Il l’a pris pour lui. Mais je peux vous dire qu’à l’intérieur du Parti socialiste, il y a une commission internationale qui s’aligne sur la position des Nations unies. C’est celle d’une négociation pour aboutir à une paix respectueuse des droits des Sahraouis».
Et d'ajouter : «Je ne connais pas son histoire (Hugues Bayet, NDLR). Je ne sais pas pourquoi il s’est mis tout d’un coup à créer ce comité. Je peux simplement vous dire que les Marocains ont tendance à acheter les gens. C’est tout. Ils payent. Par le passé, je me suis retrouvé face à une personne se disant journaliste marocain. Il m’a approché à plusieurs reprises. Un jour, il m’a dit qu’il était là pour apporter un message de son gouvernement. Il voulait que je me taise. Je l’ai mis à la porte et je ne l’ai plus jamais revu. C’était un envoyé du gouvernement marocain. Le Maroc fait ça depuis des années».