« Le pétrole appartient aux pays qui le produisent ». C’est sur cette philosophie que l’italien Enrico Mattei a bâti sa renommée, sa relation privilégiée avec l’Algérie et surtout, l’une des plus grandes compagnies pétrolières au monde, ENI. Par une funeste concordance, l’Algérie a arraché son indépendance la même année où disparaissait Enrico Mattei, dans un sombre accident d’avion. Un destin lié, retracé à travers les récits de ceux qui ont connu Enrico Mattei, l’homme d’affaires, la personnalité politique et le défenseur des droits humains.
Si aujourd’hui, il parait évident que « le pétrole appartient aux pays qui le produisent », remise dans son contexte des années 50, cette affirmation d’Enrico Mattei fait de lui un visionnaire, qui dérange l’ordre établi alors par les Majors britannico-américaines sur le marché des hydrocarbures.
Un allié remarquable de la Révolution Algérienne
« Enrico Mattei a été un allié remarquable de la Révolution Algérienne », rappelait l’ancien ministre, Me Ali Haroun, lors d’un colloque historique tenu, à Alger, en 2010. Plus qu’une aide, Me Haroun soulignait « la confiance que Enrico Mattei manifesta dans la future Algérie indépendante en prenant à cette époque option pour l’exploitation du pétrole algérien dans des conditions infiniment plus justes pour les producteurs, que celles des grandes compagnies pétrolières mondiales, qui s’attribuaient la part du lion dans ce domaine.»
Né en Italie, à Acqualagna, dans la province de Pesaro en 1906, Mattei est ce qu’on appelle un « self-made men ». Après avoir gravi les échelons de simple employé à entrepreneur, il embrasse une carrière politique qui débute par la résistance italienne antifasciste jusqu’au parlement italien d’après-guerre, sous la bannière de la Démocratie Chrétienne.
Régulièrement invité à relater les relations entre Enrico Mattei et le Front de Libération Nationale (FLN) lors de la guerre de libération, le Président de l’association des anciens du MALG, Dahou Ould Kablia, explique que c’est en 1958, que l’homme d’affaires italien fit la connaissance du représentant du FLN à Rome, Tayeb Boulahrouf. « Cette relation lui permit de rencontrer par la suite de nombreux dirigeants de la Révolution, tant à Rome et à Milan qu’à Genève ou au Caire, tels que Benyoucef Benkhedda, Ahmed Boumendjel, M’hamed Yazid, Mohamed Benyahia et Abdelhafidh Boussouf ».
Pour M. Ould Kablia, « c’est Abdelhafidh Boussouf qui comprit le mieux les aspirations d’Enrico Mattei à entrer dans la cour des grands limitée aux seuls membres du Cartel, avec une vision différente sur les avantages financiers à consentir aux pays concédants ». Ainsi, « Abdelhafidh Boussouf l’encouragea et plaida sa cause auprès du Roi Idriss Senoussi de Libye qui lui accorda, malgré les pressions exercées sur lui, une concession de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures dans son pays. C’est à l’occasion de ce contrat que Mattei, au nom de l’Eni, déclina son offre de répartition des revenus sur la base inédite d’un partage des bénéfices à parts égales 50/50 avec le pays concédant », relate le Président de l’association des anciens du MALG.
Grace à Mattei, l’Italie devint le pays européen où le FLN avait le plus de soutien politique
Fort de ce succès dû à l’appui apporté par l’Algérie, Enrico Mattei mobilisa la classe politique italienne en faveur de la cause algérienne, « si bien que l’Italie devint le pays européen où le FLN avait le plus de facilités et de soutien pour déployer son action politique et diplomatique », témoigne encore M. Ould Kablia, qui souligne également le rôle déterminent qu’ont joué Enrico Mattei et ses équipes, dans les négociations menées entre le FLN et la France pour la récupération du Sahara.
Loin de cacher ses opinions politiques, Enrico Mattei, désormais influent homme d’affaires, crée un journal, Il Giorno, où il s’exprime en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Le quotidien italien ira jusqu’à publier un éditorial titré : « à qui appartient le Sahara ?» L’auteur y interpelle la France coloniale, qui selon lui, « n’a d’autre choix que de traiter avec les pays qui tiennent entre leurs mains le robinet du pétrole… D’où la nécessité, reconnue par les Français de bon sens, d’un accord politique général avec les pays indépendants de l’Afrique du Nord et d’une paix véritable en Algérie.»
Enrico Mattei disparait précocement, en 1962, quelques mois après l’indépendance de l’Algérie, dans un crash d’avion, dont les circonstances ne sont pas encore élucidées. En signe d'éternelle reconnaissance et de façon très symbolique, le gazoduc Transmed, qui relie l'Algérie à l'Italie, porte son nom depuis 1999. Enrico Mattei a également été décoré de la médaille des amis de la révolution, à titre posthume, par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune.
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