Le mouvement de protestation des jeunes Marocains est passé mardi des revendications sociales à l’offensive économique, avec le lancement d’une large campagne de boycott visant les produits des entreprises du milliardaire et chef du gouvernement du Makhzen, Aziz Akhannouch, dans une nouvelle étape de contestation dirigée contre ce que les manifestants qualifient de "clique de l’argent sale" agissant au nom du libéralisme.
Cette décision de boycott, annoncée au onzième jour des manifestations pacifiques, constitue un moyen de pression supplémentaire sur le gouvernement du Makhzen et un signal d’alarme face à l’emprise croissante de l'argent sale sur la vie politique et économique. Les jeunes accusent Akhannouch, propriétaire d'"Akwa Group" et des sociétés "Afriquia Gaz" et "Maghreb Oxygène", d’incarner la fusion entre pouvoir et richesse.
Son empire contrôle environ 40 % du marché des carburants, 45 % du marché du gaz butane et 62 % du gaz de pétrole liquéfié au Maroc. Ses entreprises ont également remporté un important contrat de dessalement de l’eau de mer, étendant ainsi son influence économique sur plusieurs secteurs stratégiques.
Le chef du gouvernement du Makhzen poursuit l’expansion de ses investissements personnels au Maroc et à l’étranger. Sa fortune était estimée à 1,6 milliard de dollars en janvier dernier, selon le magazine américain Forbes, qui le classe parmi les Africains les plus riches.
Indifférent aux souffrances du peuple marocain, confronté à la cherté de la vie, à la hausse des prix des produits de base, à la faiblesse des services publics en matière de santé et d’éducation, ainsi qu’à la montée du chômage, de l’inflation et à la dégradation générale des conditions économiques, Akhannouch a suscité la colère des jeunes, qui ont décidé de franchir une nouvelle étape dans leur mouvement en boycottant les produits de ses entreprises.
Au dixième jour des manifestations pacifiques (lundi), la contestation a eu lieu dans 23 villes marocaines, où les protestataires ont scandé des slogans hostiles au Makhzen, réitérant leur appel à la démission du gouvernement qu’ils jugent responsable de l’échec du système de santé et de celui de l’éducation.
Les manifestants ont également clamé des mots d’ordre contre la corruption et pour la dignité et les réformes sociales, tels que "Liberté, dignité, justice sociale", "Où est la compassion ? Le malade est devenu une marchandise", "Le peuple veut la fin de la corruption", "Pacifique, pacifique" et "Liberté pour les détenus".
Parallèlement, et à l’occasion de la Journée mondiale du travail décent, l’Organisation démocratique du travail (ODT) a dénoncé l’échec des programmes gouvernementaux et le gaspillage des fonds publics, sans impact réel sur un marché de l’emploi toujours marqué par la précarité, soulignant que la nouvelle feuille de route pour l’emploi à l’horizon 2026 ne demeure qu’un discours creux, en l’absence d’une vision claire et d’une volonté politique réelle.
De son côté, le Bureau exécutif de l’Union des organisations éducatives marocaines a tenu une réunion extraordinaire, affirmant que les revendications portées par les jeunes dans leurs manifestations pacifiques sont légitimes et justes. Il a exprimé son étonnement face à la contradiction flagrante entre le discours gouvernemental sur "l’Etat social" et "la culture du dialogue", et les pratiques sur le terrain, qui vont à l’encontre de ce discours.
Pour sa part, la Coordination nationale unifiée du secteur de l’emploi au Maroc a appelé à la mise en oeuvre immédiate des engagements nationaux et internationaux en matière d’inspection du travail, accusant le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, d'incapacité à mener un dialogue social efficace avec les syndicats du secteur et de son échec, depuis quatre ans, à concrétiser sur le terrain les revendications du corps des inspecteurs du travail.
Dans un article publié mardi sur plusieurs sites d’information en ligne, l'avocat au barreau d’Agadir et militant des droits humains, Mohamed Najib Anitra, a déclaré que "les manifestants ont fait preuve d'un grand sens de discipline, de pacifisme et un niveau élevé de conscience (...), mais les autorités publiques ont manqué le rendez-vous, recourant aux mêmes méthodes archaïques de violence verbale et physique".
De son côté, l’écrivain marocain, Youssef Aghouirkat a indiqué, dans un article publié sur des sites d’information locaux, que les protestations qui agitent actuellement les rues du Maroc, révèlent une transformation profonde de la conscience politique et sociale des jeunes.