L’histoire des personnes arrêtées lors des massacres du 8 mai 1945 à Sétif, restées séquestrées dans d’horribles cellules jusqu’à l’indépendance, représente un autre visage hideux du colonialisme français en Algérie.
Pour les historiens spécialisés dans cette période, le dossier des prisonniers du 8 mai 1945 ayant fait l’objet de condamnations à mort ou de prison à vie qui avaient subi les tortures les plus infâmes, furent soumis aux travaux forcés et horriblement torturés durant les interrogatoires jusqu’à l’indépendance du pays, constitue une autre facette de la barbarie d’un colonialisme qui était loin de se douter que l’explosion populaire du 8 mai 1945 allait déclencher la Révolution du 1er novembre 1954.
Des documents et témoignages conservés au Musée du moudjahid de Sétif révèlent que "la ville de Sétif fut assiégée au lendemain des évènements de la marche du 8 mai 1945 pendant près de trois mois durant lesquels les pires exactions furent perpétrées contre les civils désarmés jetés dans des camps de concentration et les prisons et soumis aux interrogatoires sauvages".
Parmi ces témoignages, figure celui de Messaoud El Kheir qui fut emprisonné du 13 mai 1945 jusqu’à l’indépendance en 1962 avec d’autres habitants de la région condamnés à la peine de mort et aux travaux forcés à perpétuité.
Messaoud affirme avoir été interpelé puis emmené à la caserne de Napoléon à Sétif où il fut interrogé sous la torture puis transféré à la prison de la Casbah de Constantine.
"Différé devant le tribunal militaire, je fus condamné à mort. J’avais à peine 18 ans, mais le juge déchira en pleine séance mon acte de naissance et fit inscrire âgé de 21 ans". "Après le procès, ajoute Messaoud, je fus conduit à la prison d’El Koudia de la même ville (Constantine) dans l’attente de mon exécution mais après environ 20 mois, la peine de mort fut commuée en prison à perpétuité et je fus transféré à la prison d’El Harrach (Alger) puis à celle de Lambèse de Batna avant d’être de nouveau transféré vers la prison d’El Harrach où j’étais séquestré jusqu’en 1962".
Tahar Tobal de la commune de Béni Aziz (Sétif) est un autre prisonnier dont l’internement s’était prolongé du 8 mai 1945 au 15 mai 1962.
Dans son témoignage, il indique avoir été interpelé à Béni Aziz où il fut torturé puis transféré vers la prison de Napoléon à Sétif en novembre 1945.
"Je fus ensuite, ajoute-t-il, conduit devant le tribunal militaire de Constantine qui m’a condamné à la peine de mort et placé à la prison d’El Koudia où j’ai passé 16 mois et assisté à l’exécution de plusieurs détenus avant d’être informé que les exécutions ont cessé et furent commuées en prison à perpétuité".
Cette catégorie de prisonniers algériens condamnés à mort et à perpétuité sont "les oubliés des massacres du 8 mai 1945", souligne le professeur Soufiane Loucif qui assure que beaucoup de ceux arrêtés durant ces massacres furent fusillés à la cité Djenane Zitoune de Constantine.
D’autres furent contraints de creuser leurs tombes dans la région de Boussekine (Sétif) avant d’être exécutés sommairement tandis que d’autres encore furent l’objet de procès expéditifs et condamnés à mort avant de commuer leur peine en prison à perpétuité jusqu’à leur libération en 1962, note-t-il.
Pour cet universitaire du département de l’histoire et de l’archéologie de l’université Sétif-2, ces prisonniers furent jugés pour leur participation à l’insurrection qui a eu lieu après la marche du 8 mai 1945 s’étendant aux localités dont Amoucha qui compte 100 prisonniers, Ain Kébira, Béni Aziz, Tizi Nebchar, Ouled Adouane, Oued El Bared, Kherata (Bejaia) et bien d’autres agglomérations.
Parmi ces prisonniers, le même universitaire cite Layachi Kherbache, Ouiz Bouzid, Mihabil Slimane et son frère Saïd, Merghem Bouzid, Merghem Mebarek, Bouaoud Cherif et son frère Salah, Mohamed Guerfi, Amroune Madani, Abdelkader Loucif, Mohamed Tahar Tobal, Ahmed Haridi, Boudjemaa Guerissa. Et la liste est bien longue.
Le colonialisme français a créé alors des prisons spéciales pour y concentrer les détenus du 8 mai 1945 à l’instar de celui de la caserne de Sétif et du camp de concentration de Dhraa Benkherbache.
Ils ont été ensuite jugés collectivement puis transférés vers les plus grandes et les plus sinistres prisons dont celui d’El Koudia (Constantine), de Lambèse (Batna), de la Maison-Carrée d’El Harrach et d’El Berrouaghia, a souligné le même historien.
Beaucoup de ces prisonniers meurent en prison dans des conditions horribles d’épidémies et de maladies multiples tandis que d’autres encore sont devenus fous à l’exemple de Bouaoud Bouzid, a précisé Pr. Loucif.
Les massacres du 8 mai 1945 ont consommé la rupture avec l’occupant
Pour ce professeur d’histoire, les évènements du 8 mai 1945 et ce qui s’en suivit de massacres, tortures, exactions et emprisonnement d’innocents ont constitué une ligne de démarcation entre la résistance politique et la lutte armée, annonçant l’engagement d’une nouvelle stratégie du mouvement nationaliste algérien.
"Le peuple algérien, en général, et les militants du mouvement nationaliste particulièrement étaient parvenus, après tous ces évènements, à la ferme conviction que ce qui a été pris par la force, ne peut être recouvré que par la force", a ajouté cet historien assurant que "plusieurs des militants dont Krim Belkacem, Mustapha Benboulaïd et Hocine Aït Ahmed ont immédiatement après ces évènements entamé la lutte armée".
"La Révolution libératrice de novembre est le prolongement direct du 8 mai 1945", estime le moudjahid Khaled Hafedh qui affirme ne pas pouvoir oublier à ce jour l’image de l’arrestation et de la conduite vers une destination restée inconnue de son père par les soldats français durant les évènements du 8 mai 1945 dans la localité de Behira à Ain Arnet (Ouest de Sétif).
Assurant se souvenir des mares de sang rencontrées un peu partout, Khaled Hafedh qui avait alors à peine six ans, appelle à raffermir le souvenir des massacres du 8 mai 1945 dans la mémoire collective des générations montantes.